Tempête Harvey

Dallas tend la main aux sinistrés

Ils ont quitté leur maison en lançant leur brosse à dents et quelques vêtements dans un sac, pensant y retourner une fois la tempête passée. Aujourd’hui, de nombreux sinistrés prennent conscience qu’ils ne pourront regagner leur domicile avant des semaines ou des mois, peut-être même jamais. À Dallas, l’éternelle rivale de Houston, les citoyens leur envoient un message clair : les évacués peuvent rester aussi longtemps qu’il faudra.

DALLAS — « Je ferais ça s’ils venaient de Tombouctou, man. Je ferais ça s’ils étaient des Martiens. Quand les gens ont besoin d’aide, eh bien, on les aide. »

Casquette des Cowboys de Dallas enfoncée sur le crâne, dents en or, chaînes en or qui lui pendent au cou : Don Brown appuie ses propos en agitant de grandes pinces de cuisson au-dessus de sa tête. Nous sommes dans le stationnement du Centre des congrès de Dallas, aujourd’hui transformé en gigantesque camp de sinistrés. Don Brown y a apporté un barbecue géant monté sur une remorque. Dans sa vieille camionnette tirant le tout, on aperçoit des montagnes de saucisses, de pilons de poulet marinés et de sacs de chips. Il prépare un tailgate party pour ceux qui sont normalement ses ennemis jurés, les partisans des Texans de Houston.

Alors que de nouveaux ordres d’évacuation ont été lancés hier à Houston, les gestes de solidarité de ce genre se multiplient partout à Dallas. La troisième ville en importance du Texas, située à 390 kilomètres au nord de Houston, loin de la côte, a échappé à la tempête Harvey. Mais elle fait office de refuge pour un flot de plus en plus important de sinistrés, qui pourraient y rester plus longtemps qu’on ne le prévoyait.

« Les gens ne le comprennent pas encore, mais des milliers d’entre eux ne pourront pas retourner dans leur maison avant des semaines ou des mois. Certains n’y retourneront jamais », dit Linda Boone, de la Croix-Rouge américaine, qui dirige un refuge bondé dans un centre récréatif de Dallas.

Après avoir fui sa maison avec sa femme, ses deux enfants et ses beaux-parents sourds, c’est là que Rodney Johnson a échoué. La Presse l’a rencontré à l’ombre d’un arbre, en train de jouer avec son fils Seaven, 15 mois.

« Jusqu’ici, on était dans l’action. Là, ça commence à me frapper. Je me demande ce qui va nous arriver », dit l’homme, qui a le mot « Texas » tatoué sur la main. Il a aujourd’hui une seule obsession : retourner voir sa maison abandonnée à Houston.

« Il faut que je voie et que j’évalue la situation. Après, on pourra prendre des décisions. »

— Rodney Johnson

La plupart des ouragans sèment la destruction, mais passent rapidement, laissant place à la reconstruction. La tempête Harvey est d’un autre type. En s’installant au-dessus de Houston pendant des jours, elle y a déversé une quantité d’eau jamais enregistrée dans l’histoire américaine. Dans cette ville plane, l’eau n’a maintenant pratiquement nulle part où s’écouler. Les inondations risquent donc de perdurer.

« La situation est encore pire que [lors du passage de] Katrina », a dit à La Presse Michele Maki, responsable des affaires publiques pour la Croix-Rouge, faisant allusion à l’ouragan qui avait ravagé La Nouvelle-Orléans en 2005. Hier, l’organisation estimait que 32 000 évacués avaient trouvé un abri dans pas moins de 230 refuges au Texas.

Un « WalMart » pour sinistrés

Celui où vit maintenant Rodney Johnson abrite 192 personnes, dont 75 enfants. Dans cette collectivité où tout se passe rondement, les résidants sont identifiés par des bracelets jaunes ou roses. D’autres évacués, qui portent des bracelets bleus ou verts, y reçoivent des repas, mais dorment ailleurs, à l’hôtel ou chez des amis.

Un flot incessant de bénévoles et de citoyens apportent des vêtements, de la nourriture, des chaussures, des couches, des serviettes hygiéniques. À l’intérieur, les articles sont déposés dans un local surnommé le « Walmart », dans lequel les évacués peuvent piger. Hier, Tina Stanley, une blonde énergique, multipliait les allers-retours entre sa maison et le refuge, chargée de deux gros sacs IKEA remplis de vêtements.

« Je fais la lessive pour les sinistrés », explique-t-elle.

Le trottoir de l’entrée est couvert de messages de solidarité et de dessins faits à la craie par les enfants. Sur la pelouse, tout près, une voiture de police est garée en permanence.

« L’ambiance est très calme, dit Linda Boone, venue de Floride et qui dirige l’endroit comme une mère. Notre plus gros incident a été un homme qui disait s’être fait voler son portefeuille. Il a fini par le retrouver dans son camion. »

Bienvenue aux sans-papiers

Autour d’elle, attablés devant un repas de légumes, rouleaux impériaux et poulet à l’orange offert par un restaurant local, plusieurs sinistrés parlent espagnol. Linda Boone dit passer beaucoup de temps à rassurer les immigrés illégaux, qui craignent de se faire dénoncer en se rendant dans les refuges.

« Dallas est une ville refuge, martèle-t-elle. Personne ici ne sera expulsé. » Sur les murs, le numéro de téléphone du consulat du Mexique à Dallas est affiché à plusieurs endroits. Sa collègue Kim Robinson, elle, s’occupe des besoins psychologiques.

« Les gens ont un grand besoin de raconter ce qu’ils ont vécu », dit-elle, expliquant qu’il est encore trop tôt pour diagnostiquer les symptômes de stress post-traumatique.

Au centre des congrès Kay Bailey Hutchison, pendant ce temps, c’est une véritable petite cité qui se met en place. Sous le grésillement des néons, un océan de lits de camp a été déployé dans le stationnement intérieur. Pas moins de 5000 personnes peuvent y être accueillies. Hier matin, seuls 108 réfugiés s’y trouvaient, mais leur nombre a considérablement grossi au fil de la journée. À l’entrée, une affiche précise que les armes, la drogue, l’alcool et les animaux sont interdits. Selon le maire de la ville, une pharmacie et des stations de recharge pour les téléphones ont été déployées.

« C’est le début de ce qui pourrait être un long processus », a dit en conférence de presse le maire Mike Rawlings, lançant un message de solidarité aux habitants de Houston, ville avec laquelle Dallas a toujours entretenu une forte rivalité tant économique que sportive.

« Il ne manque vraiment de rien, l’accueil fait chaud au cœur », a témoigné Joshua Manuel, vêtu d’un chandail en coton ouaté offert par une organisation caritative. Entre tenter un retour à Houston, passer une autre nuit sur un lit de camp ou rejoindre de la famille à Wichita, au Kansas, l’homme de 29 ans avait bien du mal à décider de la suite de sa vie, chamboulée par ce qui s’avère déjà la catastrophe la plus coûteuse de l’histoire des États-Unis.

Tempête Harvey

Chronique d’une catastrophe annoncée ?

Peu de villes auraient pu affronter sans sourciller le puissant ouragan qui a frappé la ville de Houston, entraînant l’inondation de dizaines de milliers de maisons. Des experts qui sonnaient l’alarme à ce sujet bien avant l’arrivée de Harvey affirment que la ville aurait cependant pu être mieux préparée au choc.

Un étalement urbain problématique

Houston, quatrième ville en importance aux États-Unis, se développe à un rythme accéléré depuis des années. La population a crû de 23 % depuis 2001 et plus de 350 000 nouveaux bâtiments ont été construits dans le comté où se trouve la ville sur une période d’une quinzaine d’années. L’étalement urbain lié à cette croissance, qui s’accompagne de l’ajout d’infrastructures routières importantes, a fait disparaître sous le béton et le bitume des terrains humides qui jouaient un rôle important dans l’évacuation de l’eau. « Le développement de la superficie imperméable signifie qu’il y a plus d’eau qui coule en surface », ce qui contribue aux risques d’inondation, relève Samuel Brody, spécialiste en urbanisme rattaché à l’Université A&M du Texas.

Un zonage déficient

La ville de Houston, note Samuel Brody, se félicite depuis des années de sa forte croissance et ne s’est pas dotée d’un plan d’urbanisme qui lui aurait permis de mieux réguler le développement immobilier sur son territoire. Il s’agit de l’une des seules villes d’envergure aux États-Unis à se trouver dans cette situation, relève l’analyste. Cette absence relative de régulation colle à la philosophie antiétatique de la population locale, qui a refusé à trois reprises par référendum d’autoriser un tel plan. « Malheureusement, les inondations sont une des conséquences connues du développement incontrôlé », relève M. Brody.

Des capacités d’évacuation insuffisantes

Arturo Leon, ingénieur spécialisé en gestion des eaux de l’Université de Houston, relève que la ville se trouve dans une plaine côtière, une région très plate qui limite la capacité de drainage. Le réseau de bayous qui permet d’évacuer l’eau vers la baie de Galveston et le golfe du Mexique coule lentement et n’avait pas la capacité de faire face à de fortes précipitations en raison de l’écoulement de surface additionnel découlant de l’expansion de la ville, relève cet expert. La ville a d’ailleurs connu plusieurs inondations importantes par le passé, faute d’avoir corrigé le problème en temps opportun, rappelle Samuel Brady. « Il y a des incidents chaque année. On a même vu des inondations avec des précipitations de six pouces [une vingtaine de centimètres] », relève-t-il. À titre de comparaison, l’ouragan Harvey a entraîné le déversement de plus de 125 centimètres d’eau sur la ville.

Une menace négligée

Jeff Masters, météorologue spécialisé dans l’étude des ouragans, note que le réchauffement climatique fait augmenter la température du golfe du Mexique et augmente la capacité de rétention d’eau de l’atmosphère, favorisant les fortes précipitations. Le climatologue précise à cet égard que le Texas a connu une augmentation des épisodes de fortes précipitations de 40 à 60 % sur dix ans par rapport à ce qui avait été enregistré dans les années 50. Les responsables de la gestion des inondations du comté où se trouve Houston ont cependant eu tendance à nier par le passé les risques liés au réchauffement climatique en accusant les environnementalistes d’avoir un « programme » anti-développement « défiant le sens commun ».

Changement de cap ?

M. Masters espère que la ville de Houston reviendra, à la lumière des événements des derniers jours, sur sa position et s’intéressera de près à la question du réchauffement climatique et de son incidence potentielle sur la région. « Il faut planifier en fonction des meilleures connaissances scientifiques dont on dispose, plutôt que de nier en fonction de son programme politique », dit-il. Samuel Brody, de l’Université A&M du Texas, espère dans le même ordre d’idées que la crise actuelle entraînera un changement de mentalité complet de la part des autorités en matière d’évaluation des risques et favorisera un changement dans le mode de développement de la ville.

Tempête Harvey

La vie après le déluge

Pour Houston, Harvey est désormais derrière. Mais les répercussions commencent à peine à se faire sentir. Pendant que les opérations de recherche de victimes s’intensifient, de longues files d’attente sont observées dans les stations d’essence. À Beaumont, les pompes d’eau ont cédé, laissant les habitants de la ville sans eau potable.

Opérations de recherche

Hier, le service des pompiers de la Ville de Houston a commencé à faire du porte-à-porte pour trouver des résidants qui seraient toujours piégés. Les autorités craignent aussi de découvrir de nouvelles victimes. Jusqu’à présent, la police de Houston a confirmé la mort de 39 personnes. « Le pire est à venir en termes de résultats. Des gens sont bloqués dans leurs maisons et nous ne pouvons pas les sortir de là. Ils sont isolés », a déclaré le lieutenant-général retraité Russel Honoré qui a commandé les forces opérationnelles de secours militaire dépêchées lors de l’ouragan Katrina.

1 million aux sinistrés

La Maison-Blanche a annoncé que le président des États-Unis Donald Trump avait décidé de verser 1 million de dollars au fonds de secours de Harvey. « Il voudrait participer aux efforts que beaucoup de gens à travers le pays sont en train de faire », a déclaré la porte-parole de la Maison-Blanche Sarah Huckabee Sanders.

Manque d’eau potable à Beaumont

Les habitants de Beaumont doivent attendre en file de longues heures pour se procurer de l’eau potable. Les inondations qui ont ravagé la petite ville texane de 118 000 habitants ont sérieusement endommagé les réservoirs de la ville. « Nous devons attendre que le niveau de l’eau baisse pour pouvoir déterminer l’étendue des dommages et procéder aux réparations nécessaires », a déclaré la Ville. Beaumont a été dévasté par la tempête tropicale Harvey mercredi quand cette dernière a touché terre pour la deuxième fois.

Des commerçants haussent les prix

Des commerçants de Houston profitent de la rareté de certains produits pour hausser leurs prix. Le ministère de la Justice du Texas rapporte qu’un dépanneur de Houston aurait facturé 20 $ à un client pour un gallon de carburant, 8,50 $ à un autre pour une bouteille d’eau et 99 $ pour une caisse d’eau. Une porte-parole du Ministère, Kayleigh Lovvorn, a affirmé que 684 plaintes concernant des hausses de prix abusives avaient déjà été déposées.

Pence au Texas, Trump en Louisiane

Le vice-président américain a visité le Texas hier. Mike Pence s’est arrêté à Corpus Christi et a visité des sinistrés de Harvey. « Il n’y a pas de tempête aussi forte que le peuple du Texas », a-t-il déclaré. M. Pence a remercié les bénévoles ainsi que les autorités locales pour leurs efforts. Donald Trump retournera au Texas demain. Il visitera la ville de Houston et s’envolera ensuite vers la Louisiane, un autre État sévèrement endommagé par les inondations qui ont accompagné la tempête.

État d’urgence en Caroline du Nord

Anticipant des pénuries d’essence, le gouverneur de la Caroline du Nord, Roy Cooper, a déclaré l’état d’urgence. Ainsi, il suspend temporairement la limite maximale des heures de service pour les véhicules à carburant qui se déplacent sur l’ensemble du territoire nord-carolinien. La tempête Harvey a causé la fermeture de plusieurs raffineries et a endommagé l’oléoduc Colonial qui transporte du carburant et d’autres produits dérivés du pétrole de Houston jusqu’à la côte est des États-Unis.

Usine chimique fermée à Crosby

Des explosions se sont produites à l’usine chimique Arkema située à Crosby, près de Houston. « Les responsables ont précisé que les explosions ne représentent qu’un risque limité pour la santé de la population environnante. » L’usine, qui emploie 57 personnes, est située à une quarantaine de kilomètres de Houston et fabrique des peroxydes organiques. « Quand il se décompose et brûle, le peroxyde organique dégage une fumée qui peut être irritante, mais qui est non toxique s’il n’y a pas d’exposition prolongée et massive », a déclaré hier Michel Laborde, directeur général délégué d’Arkema.

— Avec CNN et l’Agence France-Presse

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